13 juin – 21 septembre 2025
M HKA, Anvers
Tekla Aslanishvili, Mirwan Andan & Iswanto Hartono, Winnie Claessens, Köken Ergun & Fetra Danu, Köken Ergun & Tashi Lama, Assem Hendawi, Jean Katambayi Mukendi, Pejvak, Shahana Rajani, Sojung Jun, The Question of Funding, Jonas Staal, Zheng Mahler. Exposition d’architecture du Studio PARA~.
Commissaire de l’exposition: Nav Haq
Les grandes idées de frontières sans friction
Perspectives contemporaines sur la géopolitique des infrastructures
Nav Haq
Les infrastructures sont des idées ambitieuses. Elles sous-tendent la circulation mondiale d’objets, d’idées, d’informations et de personnes. De manière plus concrète, leur raison d’être se fonde dans notre habitat par la facilitation des flux, des échanges et des structures de soutien qui façonnent nos vies, nos moyens de subsistance et nos sociétés. De nos téléphones portables aux produits divers et denrées alimentaires que nous achetons, de l’eau qui coule du robinet au train qui nous emmène en voyage, tout nécessite des infrastructures considérables, voire plusieurs réseaux d’infrastructures qui fonctionnent de manière synchrone. Il n’est donc pas surprenant qu’une chose normalement invisible devienne de plus en plus omni-englobante, au point de nous en rendre omnidépendants, et de faire l’objet de toutes les attentions.
La conquête du temps et de l’espace en vue de la suppression des frictions aux frontières est l’objectif des infrastructures afin que nous puissions nous rapprocher et accélérer le partage et la distribution sur de plus grandes distances et au-delà des frontières. Les infrastructures sont mises en oeuvre à l’échelle transnationale, voire mondiale. Il suffit de penser au vaste réseau de câbles sous-marins nécessaire pour faciliter notre utilisation quotidienne de l’Internet. Les infrastructures configurent le monde humain, sa production de connaissances et de prospérité, et incarnent l’idée d’un monde en mouvement.
Dans l’organisation générale des sociétés, on peut identifier deux forces qui se soutiennent mutuellement : la « superstructure », l'ensemble de forces intangibles qui existent en interaction avec les « infrastructures », les forces tangibles qui leur sont corrélées. Si l’on considère la « superstructure » comme le dispositif institutionnel sur lequel repose la politique, le droit et la gouvernance, la culture, la philosophie, l’idéologie, les systèmes de croyances, la science et le savoir, l’« infrastructure » est le dispositif structurel qui fluidifie de manière concrète des activités, telles que le commerce, le transport, la fabrication, l’énergie et la communication, ainsi que des aspects essentiels de la sphère publique, comme la santé, l’éducation, les services publics et les arts.
Dans le monde contemporain, les infrastructures englobent de surcroît les technologies et les mégadonnées, mais aussi l’urbanisme — en témoignent les projets de nouvelles capitales de pays tels que l’Indonésie et l’Égypte –, l’automatisation, la robotisation, la gestion algorithmique mondiale des espaces urbains, les vastes couloirs ferroviaires, tels que la réinvention par la Chine de la « route de la soie » historique à travers son initiative éponyme, ou encore les ports en eau profonde comme celui de Gwadar au Pakistan. Pourtant, peu de gens savent que des trains relient directement Tangshan et Anvers, deux grands ports situés aux deux extrémités de l’Eurasie. Il convient aussi de reconnaître que les infrastructures incluent en outre des systèmes de guerre et de défense, et par voie de conséquence, le potentiel de détruire d’autres infrastructures. Le concept d’infrastructure recouvre donc beaucoup de choses. Les éléments classiques — la terre, l’eau, le feu, le vent — sont exploités dans un contexte où les juridictions se chevauchent, les circulations s’effectuent au niveau transnational, l’urbanisation s’accélère et le travail connaît une restructuration. Par quelles étapes passe un minerai rare entre son extraction du sol et son intégration à une batterie de téléphone portable ou de véhicule électrique ? De la coopération à la concurrence, en passant par la dépendance et l’asservissement, la dégradation de l’environnement et les déplacements de populations, les infrastructures constituent un facteur géopolitique majeur entre les nations.
Les infrastructures ont un statut particulier : elles sont à la fois « choses » et relation entre des choses. Cette dualité, à la fois visible et invisible, tangible et intangible, qui a autant trait à leur entretien qu’à leur promesse, rend les infrastructures complexes, voire conceptuelles, et donc moins évidentes à appréhender. Cependant, une capacité indépendante à comprendre le déroulé des processus dans le temps et dans l’espace permet d’examiner les infrastructures, en particulier du point de vue technologique, économique, logistique, politique et social. Bon nombre d’artistes comprennent l’urgence d’une telle démarche.
Après tout, les infrastructures représentent une source d’émerveillement et sont souvent considérées comme la relation présente et à venir entre les choses. Qu’ils soient publics, privés ou hybrides, les projets d’infrastructure sont devenus de puissants symboles de modernisation, d’aspiration, d’influence et de pouvoir dans de nombreuses régions du monde. En fait, on constate de plus en plus que « l’espace infrastructurel » devient si vaste qu’il se transforme progressivement en « superstructure » et constitue désormais une forme d’« activité extra-étatique » — pour reprendre le terme utilisé par l’urbaniste Keller Easterling — qui consolide le pouvoir de l’État en sa qualité de mandataire.
L’exposition intitulée La géopolitique des infrastructures — Perspectives contemporaines présente des oeuvres d’une génération d’artistes qui portent un regard contemporain sur la question particulière des infrastructures dans un contexte géopolitique. À travers leur pratique, ces artistes développent une réflexion transnationale, examinent en détail les engagements politiques, l’imagination et les rapports de pouvoir des infrastructures. L’exposition présente leurs analyses sur la manière dont ces structures sont utilisées comme outils organisationnels à travers des zones interconnectées, très souvent dans le cadre de l’exercice du pouvoir étatique. Les infrastructures, que certain·es considèrent comme un sujet banal ou ennuyeux et que d’autres trouvent sexy, indiffèrent sans doute la plupart. Lorsqu’on ouvre le robinet, combien d’entre nous se demandent quel chemin l’eau a parcouru, quels procédés elle a subis avant d’arriver jusqu’à nous, et quelles personnes cela a pu affecter en cours de route ? Comment l’information parvient-elle jusqu’à nos smartphones ? Pourtant, il s’agit de l’un des facteurs les plus importants qui façonnent nos sociétés. Souvent, ce sujet n’est évoqué que quand les choses tournent mal. Comme lorsqu’il nous a fallu réfléchir à la question : où l’Europe s’approvisionnera-t-elle en gaz si elle ne veut plus dépendre de la Russie ?
Ce sont de telles questions que l’exposition cherche à poser. Voilà qui marque peut-être aussi le grand retour de la géopolitique dans l’art contemporain. Ces questionnements artistiques reflètent un monde aux prises avec des guerres commerciales, de fausses informations, la hausse des prix du gaz et des conflits. Tout cela expose le paysage à une géopolitique complexe. Consciente que la géopolitique façonne aussi les conditions de travail des artistes, l’exposition présente des pratiques et des réflexions fondées sur la recherche, souvent accompagnées d’un intense engagement sociopolitique, et s’intéresse dès lors aussi, et de manière fondamentale, aux possibilités que génère l’imagination artistique en matière de conceptualisation de modèles d’infrastructure nouveaux et alternatifs. Pourquoi dépendre des autres si nous pouvons inventer de nouvelles infrastructures ? Il s’agit là d’une question fondamentale qui se pose dans le domaine culturel, et en particulier là où il n’existe pas d’infrastructure durable pour soutenir la pratique artistique.
Nous tenons à remercier tous les artistes participant·es pour leur engagement significatif. Ils et elles ont apporté un éclairage unique sur les ramifications des infrastructures dans le domaine politique, social et culturel. Leur démarche peut être qualifiée de pratique fondée sur la recherche, prenant en compte les contextes et les situations spécifiques des régions où elles s’exercent. Protéiformes, elles vont du documentaire expérimental aux modèles et prototypes propositionnels.
Deux autres caractéristiques de cette exposition méritent peut-être d’être soulignées. Premièrement, plutôt qu’une réflexion historique, les « perspectives contemporaines » du sous-titre mettent l’accent sur le présent, analysent ce qui se déroule sous nos yeux et son impact sur l’humanité. La tendance à se concentrer sur les infrastructures est de toute évidence internationale. À cet égard, la deuxième caractéristique est la portée géographique de l’exposition : la plupart des grands projets d’infrastructure se déroulant en Eurasie, elle s’appuie sur l’intérêt que le M HKA porte aux pratiques et aux événements qui ont lieu dans le cadre de la multipolarité eurasienne. Ainsi, La Géopolitique des infrastructures entend proposer une hypothèse sur la place de l’art qui peut se résumer de la sorte : en démontrant leur faculté à réfléchir au temps, à l’espace et à la géopolitique des infrastructures dans le monde contemporain, les artistes nous aident à mieux comprendre leur fonctionnement.
Nous tenons à exprimer notre sincère gratitude à plusieurs collaborateurs. Tout d’abord Studio PARA pour la conception expérimentale de la scénographie de l’exposition qui transpose sa thématique en une forme pragmatique, élégante et durable. Le colloque Archipelago of Artistic Practices [Archipel de pratiques artistiques], qui se tient en marge de l’exposition, co-organisé par Jubilee — Platform for Artistic Research et rassemble de nombreux artistes et chercheurs fascinants pour un programme discursif très enrichissant sur la question urgente d’infrastructures de recherche plus durables dans le domaine artistique. Pour notre travail éditorial autour de l’exposition La Géopolitique des infrastructures, nous avons expérimenté une écologie numérique et nous tenons à remercier en particulier Nick Axel et Merve Bedir pour leur collaboration, qui nous a permis de commander une série ambitieuse de textes de fond pour la plateforme New Silk Roads du projet éditorial en ligne e-flux Architecture.
Nous tenons également à remercier la Fondation Han Nefkens d’avoir soutenu la commande de la magnifique nouvelle oeuvre de Shahana Rajani. La générosité de la fondation, ainsi que l’importance qu’elle accorde à la qualité artistique sont essentielles au soutien de l’expression créative dans le contexte actuel de confinement culturel croissant. Nous souhaitons également remercier la Fondation SBS et le Mondriaan Fonds pour leur généreux soutien respectif à la participation de Sojung Jun et de Jonas Staal. Enfin, l’exposition s’inscrit dans le cadre du projet actuel de L’Internationale, Museum of the Commons, soutenu par l’Union européenne. La confédération a offert d’importantes opportunités, des échanges et de nouvelles connaissances au M HKA, partenaire fondateur, et nous nous réjouissons de développer davantage notre avenir commun.
Nouveau film de Shahana Rajani produit par la Fondation Han Nefkens en partenariat avec Prameya Art Foundation (PRAF), Delhi, Inde ; Nottingham Contemporary, Royaume-Uni ; Ishara Art Foundation, Dubaï, Émirats arabes unis ; Museum of Contemporary Art Tokyo (MOT), Japon ; Museum of Contemporary Art Antwerp (M HKA), Belgique ; et Para Site, Hong Kong.
La participation de Sojung Jun est généreusement soutenue par la Fondation SBS.
L’exposition se déroule dans le cadre du projet actuel de L’Internationale, ‘Museum of the Commons’.
L’Internationale – la confédération européenne de musées, d’organisations artistiques et d’universités – est soutenue par l’Union européenne. Les points de vue et opinions exprimés n’engagent toutefois que leur(s) auteur·rice(s) et ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Union européenne ou de l’Agence exécutive européenne pour l’éducation et la culture (EACEA). Ni l’UE ni l’EACEA ne peuvent en être tenues responsables.